Conférence Laboratoire DYLIS : En quoi la surdité profonde prélinguale impacte les processus cognitifs ? Le cas du traitement de l’écrit.
En quoi la surdité profonde prélinguale impacte les processus cognitifs ? Le cas du traitement de l’écrit.
 Marie Perini, MCF, laboratoire SFL, CNRS – Université Paris 8
Adrien Dadone, doctorant, laboratoire SFL, CNRS – Université Paris 8
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Les sourds sont-ils des entendants qui n’entendent pas ? Dans le cas de l’apprentissage du lire-écrire, cette affirmation revient à considérer que les apprenants sourds doivent être exposés aux mêmes méthodes d’enseignement que les apprenants entendants (recours massif aux conversions graphème-phonème), moyennant un ensemble d’adaptations visant à compenser la perte auditive et la perte d’informations qui lui est associée (appareillage, rééducation auditive, aides humaines). Une telle conception, qui fait largement consensus dans les travaux en psychologie cognitive (Colin et al. 2007, Ecalle et Magnan 2015), revient pourtant à ignorer les besoins éducatifs particuliers de ce public, qui ne cesse alors de chercher à s’adapter à un modèle d’apprentissage inadéquat, et pour lequel on observe des stratégies d’apprentissage autonomes, développées « malgré » la méthode utilisée (Chamberlain & Mayberry 2000).
En amont de nos divers questionnements sur les langues des signes (LS) et sur l’apprentissage de l’écrit chez les sourds, nos recherches ont pour point de départ une intuition forte, celle de particularités cognitives inhérentes à la surdité, opérantes dans les langues des signes, authentiques créations sourdes (Cuxac 2013), mais aussi, bien que dans une moindre mesure, dans le traitement de l’écrit (Lacerte 1989, Nadeau 1993, Perini, 2013), nous conduisant à formaliser l’hypothèse d’une « norme sourde » (Garcia & Perini, 2010, Beaujard & Perini, 2023).
Nous commencerons par présenter, bien en amont du linguistique, une revue de travaux étayant cette hypothèse d’un traitement cognitif spécifique chez les sourds, qu’ils soient locuteurs d’une langue des signes ou non. En partant de l’observation qui a été faite des réorganisations corticales consécutives à la perte précoce (ou l’absence) d’une fonction sensorielle (Bavelier & Neville, 2002, Campbell & al., 2007), nous évoquerons quelques travaux en neuroimagerie (Emmorey, 2002) et capture de mouvements oculaires (Belanger & Rayner 2015, Belanger et al. 2012, 2017), attestant d’un fonctionnement et de stratégies spécifiques aux sourds. Revenant ensuite aux sciences du langage, nous tenterons de montrer qu’une partie au moins des difficultés des sourds observées dans des tâches de production ou compréhension écrite sont imputables à « l’inscription dans la linéarité qu’imposent les langues audio-vocales » (Millet, 2011 : 282). Nous prendrons pour exemple le cas des propositions relatives en français écrit, que nous avons identifiées comme un point de résistance dans le processus acquisitionnel du français écrit par les sourds (Dadone, doctorat en cours). Une analyse contrastive sur ce point entre LSF - en tant que reflet du fonctionnement cognitif des sourds - et français écrit, se révèle éclairante pour la compréhension des difficultés que rencontrent les sourds avec les subordonnées relatives.
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Amphithéâtre de la Maison de l'Université